« Un seul combat, pour une seule patrie ! » (C. de Gaulle) Chronique d’une France libérée
Le 25 août 1944, depuis l’Hôtel de Ville de Paris, le général de Gaulle s’exclame dans un discours devenu fondateur : « Mais Paris libéré. Libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l'appui et le concours de la France tout entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle. » Ces quelques mots fédèrent sous une même bannière des Français meurtris par la défaite de 1940, la collaboration, l’invasion et des divisions internes particulièrement profondes. Le général de Gaulle, chef provisoire de la République française, précise « de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle » afin d’exclure les partisans du IIIe Reich de cette France qui doit renaître de ses cendres et composer avec un éventail hétérogène de citoyen : ancien pétainiste, résistant de la première heure et attentiste.
Dans ce discours, un point doit retenir notre attention afin de comprendre un leitmotiv dans la libération de la France en 1944 : « libéré par son peule avec le concours des armées de la France, avec le concours de la France tout entière ». Le général de Gaulle passe au second plan l’importance des armées américaine et anglaise pour attribuer les lauriers de la libération de Paris – et par extension de la France – à deux ensembles qui tendent à se confondre en cette année 1944 : l’armée et les citoyens ayant pris les armes, plus communément appelés les Résistants.
En juin 1940, l’armée française, alors considérée comme la plus puissante du monde, connaît un désastre sans précédent. Dans sa débâcle, elle entraîne la chute de la IIIe République, régime en place depuis septembre 1870. Dans sa chute, elle est contrainte de voir s’installer un nouvel ordre politique dominé par l’Allemagne hitlérienne. En mai 1940, la France avait mobilisé 5,5 millions d’hommes. En face, la Wehrmacht alignait 3 millions de soldats. Malgré un équipement de qualité et une supériorité numérique, le plan allemand, élaboré par le général Manstein, permit à la Wehrmacht de prendre le dessus rapidement. Ces derniers sont passés par les Ardennes en concentrant leurs forces sur le corps d’armée du général Corap, mal équipé et constitué en grande partie de réservistes. En quelques semaines, l’armée française et le corps expéditionnaire britannique sont poussés jusqu’à la mer du Nord, à Dunkerque. En parallèle, le 14 juin, les Allemands entrent dans Paris - rappelant aux Français la douloureuse invasion de 1870. Le 17 juin, le maréchal Pétain – alors chef du gouvernement depuis le 16 – demande l’arrêt des combats. L’armistice signé, la guerre prend fin. L’armée française est en grande partie dissoute et des milliers de prisonniers sont retenus en Allemagne. Enfin, le maréchal Pétain obtient grâce au vote du Parlement les pleins pouvoirs le 10 juillet. Pendant plusieurs années, la France connaît une histoire bouleversante, proche parfois de la guerre civile puisque deux visions de la France et de son destin s’opposent diamétralement.
Après la débâcle de 1940, un historien revient sur ce douloureux événement dans son livre L’étrange défaite. Sous-officier pendant la Première Guerre mondiale, il faisait partie des centaines de milliers de réservistes qui sont rappelés en septembre 1939 pour défendre la patrie. Marc Bloch avait 53 ans et se déclarait comme « le plus vieux capitaine de l’armée française. » Dans son ouvrage, il rapporte une discussion avec un jeune officier :
« Un jeune officier me disait, alors que nous devisions sur le pas d’une porte, dans Malo-les-Bains bombardé : « Cette guerre m’a appris beaucoup de choses. Celle-ci entre autres : qu’il y a des militaires de profession qui ne seront jamais des guerriers ; des civils, au contraire, qui, par nature, sont des guerriers. »
Cette considération résume l’état de la France en 1940 lors de la défaite, mais aussi pendant les années d’occupation. En effet, cette période a démontré une nouvelle fois que, dans l’Histoire de France, dans les heures les plus sombres, des civils deviennent des « guerriers » pour défendre la patrie. Ils se sont engagés dans l’armée libre depuis les colonies africaines, ils ont rejoint l’Angleterre pour se former au sein des SAS ou bien ils ont quitté leur tranquillité de vie pour rejoindre la résistance dans le maquis. Reymond Tonneau, originaire de Romans-sur-Isère et engagé dans le maquis du Vercors, témoigne dans son livre autobiographique Vercors pays de liberté. Histoire d’un miraculé :
« Le moment est difficile. Nous sommes partagés entre la douleur de quitter notre famille et la joie de découvrir la mission qui sera désormais la nôtre. Notre bonheur n’a d’égal que notre tristesse. […] Nous sommes partagés entre exaltation et anxiété, car si nous partons comme engagés volontaires, nous affronterons peut-être la mort. En voyant arriver les camions qui vont nous monter au maquis, nous avons l’impression que la France n’attend que nous pour la libérer de l’envahisseur… Nous montons dans le camion, les larmes aux yeux et dissimulons les armes contre les ridelles. »
Reymond Tonneau, comme des milliers d’hommes et de femmes, n’avait pas vocation à porter les armes et à servir ainsi sous les couleurs. Pour autant, sous des dénominations différentes et des manières d’agir plurielles, ils sont des milliers à résister à l’occupant allemand et à l’Etat français du régime de Vichy. Certes, la majeure partie de la population a été attentiste pendant cette guerre et a subi l’occupation sans vraiment se défendre. Malgré cela, la montée en puissance des réseaux de résistance et leur unification dans la lutte contre l’occupant a démontré aux Alliés que la France était toujours présente dans le conflit et qu’une partie de la population n’avait pas renoncé à défendre la patrie.
L’été 1944 est décisif. Deux grandes opérations militaires permettent aux Alliés d’établir des têtes de pont solides et étendues au Nord-Ouest et dans le Sud (le 15 août en Provence). Le 6 juin 1944, l’opération Overlord permet ainsi de créer grâce à de multiples débarquements un axe de progression vers Paris puis le Rhin. Au prix de lourdes pertes, les troupes en grande partie américaines, britanniques et canadiennes réussissent à fracturer la ligne de défense allemande sur l’Atlantique. Parmi cette masse se trouvent 177 français du commando Kieffer qui démontrent à Ouistreham leurs qualités guerrières. La plupart sont des jeunes hommes qui avaient rejoint Londres dès 1942 pour recevoir une formation militaire afin de se battre pour la France.
Le 1er août 1944, à Saint-Martin-de-Varreville non loin d’Utah Beach, débarque le fer de lance du général de Gaulle : la 2e division blindée du général Philippe de Hauteclocque, plus connu sous le nom de général Leclerc. Cette unité est l’amalgame des forces françaises qui, dès la défaite de 1940, ont décidé de poursuivre le combat et de répondre à l’appel du 18 juin 1940. Depuis l’Afrique, les Forces françaises libres accueillent d’anciens militaires qui désertent l’armée de Vichy, mais aussi de nombreux civils qui souhaitent poursuivre le combat afin de rendre à la France son honneur et sa liberté. Cette armée peut compter sur les soldats des colonies.
Ainsi, le 1er août 1944, cette 2e DB représente l’honneur de l’armée française. Tous ses soldats sont liés par un serment depuis le 2 mars 1941. En effet, à l’issue de la bataille de Koufra dans le désert libyen, le colonel Philippe Leclerc affirme puis prête avec ses hommes « de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs, flotteront sur la cathédrale de Strasbourg. » Ce serment de Koufra est un acte patriotique qui lie un ensemble d’hommes qui, à l’origine, n’était pas tous appelé à servir ce drapeau par les armes. Lorsqu’ils débarquent en Normandie en août 1944, ils sont particulièrement motivés par la libération de leur pays et de leurs concitoyens. A la fin du mois, ils entrent dans Paris et prennent part à sa libération. La colonne poursuit vers l’Alsace où le serment de Koufra est honoré le 23 novembre 1944 : un réserviste du 1e régiment de marche de spahis marocains escalade le clocher de la cathédrale de Strasbourg et hisse les couleurs. Pour autant, la 2e DB poursuit sa mission afin de libérer le territoire dans son intégralité en poursuivant vers Colmar – puis outre-Rhin jusqu’à Berchtesgaden.
Si nous regardons la France à l’échelle de son Histoire, les années 1940-1944 sont extrêmement brèves dans la temporalité, mais d’une intensité particulièrement forte en termes d’événements. Si son peuple s’est plusieurs fois déchiré jusqu’à la guerre civile, il est assez rare de retrouver dans sa longue histoire une fracture politico-sociale aussi forte. De plus, la France était dominée par une puissance étrangère et non des moindres : l’Allemagne, qui s’efforce depuis le début du XIXe siècle de dominer la France. Dans un tel contexte, la France a pu compter sur l’engagement de milliers d’hommes et de femmes dans les réseaux de résistants, dans les maquis ou bien dans les FFL. Leurs engagements, multiples et variés, ont démontré que les forces morales de la Nation sont essentielles à la survie de cette dernière. Malgré la débâcle, la honte et l’oppression, ils ont porté haut les couleurs de la France.
Nous vous invitons dans les prochains mois à suivre ces hommes et ces femmes qui n’avaient pas vocation à combattre ni à mourir pour la patrie, mais qui ont fait un choix fort : celui de servir. Du Vercors à l’Alsace, en passant par Paris, suivez-nous dans ces aventures où, il y a 80 ans, des gens sans histoire ont décidé d’écrire l’Histoire parfois par le sang, souvent par les larmes, toujours dans la sueur. Ces hommes et ces femmes étaient animés par les forces morales qui, du Moyen Âge à aujourd’hui, sont le ciment de notre Histoire de France.
Pierre Castel
Image issue des archives de l'ECPAD