A l’été 1940, la victoire militaire du IIIe Reich entraîne une profonde désagrégation de la
société française. En vertu de l’article 2 de l’armistice du 22 juin, la France est coupée en deux.
L’article 3 précise que « dans les régions occupées de la France, le Reich allemand exerce tous les
droits de la puissance occupante. » Dans ce contexte troublé, les actions de résistance à l’encontre de
la présence allemande sont peu nombreuses. La majorité des Français pense que le maréchal Pétain
peut redonner une impulsion à la France.
Or, en novembre 1942, un tournant s’opère et vient ébranler un équilibre trop instable : la zone Sud,
où la souveraineté était en partie exercée par le gouvernement de Vichy, est envahie et occupée par les
Allemands – en réponse au débarquement des Alliés en Afrique du Nord. La France entière est ainsi
inféodée au diktat allemand, qui, dans le cadre d’une économie de guerre totale, utilise les ressources
humaines, agricoles et financières. A ce titre, un séjour forcé en Allemagne dans le cadre du Service
du Travail Obligatoire (STO) est imposé dès février 1943 aux jeunes générations.
En parallèle, la France perd sa souveraineté et, avec elle, une grande partie de son armée. Dans sa
dissolution, de nombreux officiers changèrent de cap. Alors loyaux au régime par sens du devoir, ils
sont nombreux à exhorter leurs hommes à se tenir prêt pour la revanche et à résister. Une partie d’entre
eux prit ainsi la route de l’Afrique du Nord pour rejoindre les 80 000 hommes de l’Armée d’Afrique
qui viennent de prêter allégeance aux Forces Françaises Libres (FFL). Ils sont 12 000 anciens
militaires à rejoindre ces dernières en quelques mois. Une autre partie rejoint la résistance intérieure,
notamment les maquis. C’est le cas par exemple d’Alain Le Ray ou du commandant François Huet dit
Hervieux. En 1943, cet officier entraîne dans la résistance les Compagnons de France qui étaient
auparavant un organe du régime de Vichy. Devenu lieutenant-colonel en mai 1944, il remplace Le Ray
dans le commandement militaire d’un des plus célèbres maquis de France : le Vercors.
Depuis décembre 1942, un centre de réfractaires s’est organisé depuis la ferme d’Ambel et ne
cesse de croître. Ils sont 83 maquisards en février, où se mêlent quelques militaires et des civils fuyant
le STO ou les répressions allemandes. En effet, les exigences allemandes étendues à la zone Sud à
partir de novembre 1942 créent les conditions pour alimenter en hommes ces bastions en gestation.
L’emplacement et la topographie intéressent le commandement de la résistance à Londres et à Alger.
Ce haut-plateau, dominé par le Grand-Veymont (2341m), est une forteresse naturelle idéale pour ces
patriotes qui ont soif de liberté. Ainsi, ce maquis est privilégié par Jean Moulin et le général
Delestraint – commandant de l’Armée secrète. Ils y voient le premier bastion d’une France libérée et
un foyer pour la renaissance de l’Armée française. Delestraint délègue cette mission à l’alpiniste Pierre
Dalloz et à l’écrivain Jean Prévost (qui tombe sous les balles le 1 er août 1944 au pont Charvet). Ces
deux hommes forgent le maquis du Vercors en attirant les civils de la région lyonnaise (aidé par Jean
Moulin), des Alpes et du couloir du Rhône. Reymond Tonneau, originaire de Romans-sur-Isère,
témoigne dans Vercors pays de la liberté. Histoire d’un miraculé :
« Le moment est difficile. Nous sommes partagés entre la douleur de quitter notre famille et la joie de découvrir la mission qui sera désormais la nôtre. Notre bonheur n’a d’égal que notre tristesse. […]. Nous avons l’impression que la France n’attend que nous pour la libérer de l’envahisseur… Nous montons dans le camion, les larmes aux yeux ».
Ces quelques mots sont ceux d’un homme qui, avant cet engagement dans la résistance et le maquis,
considérait la défaite comme une fatalité. Or, il décida de prendre le maquis afin de redonner son
honneur et sa liberté à une France meurtrie par le joug allemand. En quelques mois, des centaines
d’hommes affluent vers le massif et fondent progressivement un foyer dans les actions de résistance de
la région. Ce développement rapide prend rapidement deux axes distincts mais étroitement liés : le
politique et le militaire. En effet, civils et militaires se confondent dans ce maquis du Vercors. Ainsi, une proto-administration est créée en opposition au régime de Vichy, enrichie par un journal et une
formation intellectuelle. En parallèle, la région est divisée en région militaire et un état-major huile les
rouages.
Les maquisards doivent faire preuve de rusticité au cœur des montagnes enneigées et d’une
grande résilience, tant sur le plan humain que militaire. Ils forment en 1944 une nouvelle France : celle
de la République du Vercors, place forte idéalisée de la République française imaginée depuis Londres
par le général de Gaulle. Or, cette République est frappée en juillet et août 1944 par une importante
opération militaire : l’opération Bettina.
En effet, les Allemands prennent de plus en plus au sérieux cette poche de résistance dont le
rayonnement politique et militaire entache leur présence dans la région. Le débarquement de juin en
Normandie et la poussée des Alliés en Italie fragilisent les remparts du Reich. La 157 e division de
montagne du général Karl Pflaum depuis Grenoble, appuyée par six garnisons dans la vallée du
Rhône, encercle progressivement le Vercors et mène des raids dévastateurs pendant l’été. Plusieurs
foyers du maquis sont détruits et les civils sont frappés par une répression d’une grande cruauté. C’est
le cas par exemple le 21 juillet 1944 à Vassieux où le village est détruit et ses habitants massacrés dans
une barbarie rappelant, pour les contemporains, les exactions de la SS Das Reich à Oradour-sur-Glane
un mois auparavant. Militairement, les maquisards se défendent hardiment mais le manque de
préparation couplée à un matériel et un armement trop limité ne permettent pas à ces derniers de
contenir les assauts aériens et terrestres de la Wehrmacht.
Le Vercors aura coûté 639 tués aux combattants et 201 aux civils. 41 habitants de Vassieux ont été
déportés. Beaucoup ne sont pas rentrés. Les Allemands, pour leur part, auraient eu une centaine de
morts dans l’ensemble des combats. Le poids de la puissance de feu, de l’expérience et de la barbarie
explique ces écarts. Le commandant Pierre Tanant témoigne quelques années plus tard dans son
ouvrage Vercors (Arthaud, 1948, p.216) :
« Sur ce vaste plateau, des Français de toutes origines et de toutes opinions ont su se grouper et s’unir, avec la seule ambition d’échapper à la servitude… Tant de sang versé a fait de ces montagnes une terre sacrée, une terre qui doit être maintenant respectée comme un sanctuaire où le flambeau de notre liberté a été rallumé comme l’un des berceaux de la Renaissance française. »
Ces propos peuvent s’appliquer à tous les maquis de France où des milliers d’hommes et de femmes se
sont rassemblés pour résister à l’occupant allemand. La plupart ne connaissaient rien à la guerre et au
métier des armes. Pour autant, ils ont mené un combat rude et dans des conditions extrêmes afin de
faire flotter le drapeau tricolore dans leur pays. Ces milliers d’hommes et de femmes ont parfois payé
de leur vie cet engagement pour la patrie et la liberté. Forces morales de la nation, ils ont porté haut les
couleurs de la France et, grâce à leur sacrifice, ont participé à sa libération et son inscription dans le
camp des vainqueurs.
Pierre Castel